ACTION EN CONTREFACON DE MARQUE - RISQUE D'IRRECEVABILITE POUR FORCLUSION PAR TOLERANCE

DROIT DES MARQUES - FORCLUSION PAR TOLERANCE
Featured-image-1.jpg

Le dépôt d’une marque identique ou similaire à une préexistante est une source de litige certaine.

De ce fait, à compter du jour où l’usage a été connu, débute l’écoulement du délai de forclusion par tolérance permettant au titulaire de la marque antérieure d’agir contre celle qui prétend la reproduire ou l’imiter. Or, à l’expiration de ce délai, son action sera atteinte par la forclusion, et deviendra irrecevable.

C’est ainsi que l’article L.716-4-5 du Code de la propriété intellectuelle, relatif à l’action en contrefaçon, dispose qu’« est irrecevable toute action en contrefaçon introduite par le titulaire d’une marque antérieure à l’encontre d’une marque postérieure : 1° Lorsque le titulaire de la marque antérieure a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage de la marque postérieure en connaissance de cet usage et pour les produits ou les services pour lesquels l’usage a été toléré, à moins que son dépôt n’ait été effectué de mauvaise foi ».

Dès lors, ce mécanisme devient un moyen de défense imparable qui fait l’objet de nombreux litiges, tel que l’illustre l’arrêt rendu le 11 janvier 2023 la Cour d’appel de Paris.

En l’espèce, la société HOLDHAM appartenant au groupe HAMELIN détient de nombreuses marques dans le domaine de la papeterie scolaire, notamment les marques nominales et semi-figuratives réservant le signe « OXFORD » depuis 1971, visant des produits de papeterie tels que les agendas. La société SCHOOL PACK exerce une activité de négoce pour des produits de maroquinerie scolaire et a déposé une marque « OXFORD » en 1986, visant des produits de bagageries. En 2000, la conjointe d’un associé de la société SCHOOL PACK a acquis une marque verbale dénommée « OXFORD », visant des bagages, valises et sacs de voyage. En regard de la proximité entre les produits proposées par les sociétés, une des sociétés du groupe HAMELIN a conclu avec SCHOOL PACK un contrat de licence sur la marque « OXFORD » en 2002, pour une durée cinq ans en vue d’exploiter la marque « OXFORD » pour des produits de maroquinerie et de bagageries en contrepartie du paiement d’une redevance. En 2005, le groupe HAMELIN a informé ne plus avoir l’intention de commercialiser des produits de maroquinerie sous la marque « OXFORD ». Cependant, à la suite de l’abandon de cette licence, la société SCHOOK PACK a conclu successivement en 2008, 2011 et 2014, avec le fameux conjoint, un contrat de licence pour des produits de bagageries et de petite maroquinerie, mais également de maroquinerie scolaire.

Par contrat du le 26 septembre 2016, la société SCHOOL PACK a racheté auprès du conjoint la marque « OXFORD » qu’elle avait en licence et commercialise des produits de bagageries sous cette marque.

Elle dépose à cet égard une demande d’enregistrement d’une marque verbale française OXFORD en visant différents produits tels que des cartables et trousses scolaires, demande alors opposée par la société HOLDHAM qui s’est vue opposer un rejet du directeur de l’INPI.

Cependant, après avoir constaté l’utilisation du signe OXFORD par la société SCHOOL PACK dans un style imitant celui de ses titres sur leur site internet ou en catalogue de magasin en 2017 et 2018, la société HOLDHAM met en demeure son ex-partenaire de cesser l’exploitation de la marque OXFORD avant de l’assigner le 17 mai 2018 en contrefaçon de la marque initiale et atteinte à sa renommée. Le Tribunal judiciaire de Paris, par jugement le 26 février 2021, reconnait la contrefaçon, en excluant l’application de la forclusion par tolérance, estimant que la société SCHOOL PACK avait commis des actes de contrefaçon et la condamne à payer une somme en réparation du préjudice matériel et moral. La société SCHOOL PACK interjette appel du jugement.

Celle-ci demande ainsi à la Cour d’appel de Paris d’infirmer le jugement de première instance, en caractérisant la forclusion par tolérance. Elle souhaite que la société HOLDHAM soit déchue de ses droit sur la marque « OXFORD » de 1971, faute d’exploitation pendant une période ininterrompue de plus de cinq ans et donc prononcer la déchéance de ses droits sur cette marque lui empêchant de revendiquer toute contrefaçon de celle-ci. Et ainsi de faire valoir qu’il n’y a pas de conditions quantitatives à l’exploitation sérieuse de la marque.

La Cour d’appel ne partage pas la même vision que le Tribunal et va infirmer la décision de première instance. En effet, elle va admettre la forclusion par tolérance, rendant irrecevable l’action en contrefaçon menée par la société Holdham. L’argument de l’absence de réaction de la part de la société antérieure pendant une dizaine d’années puis de son action subite et inattendue en contrefaçon n’est pas recevable, et ce peu importe les quantités exploitées.

En effet, la Cour retient la réunion des conditions nécessaires à l’établissement d’une forclusion par tolérance, sanctionnant l’inaction du titulaire de la marque. La société School pack a bien enregistré postérieurement la marque « OXFORD » en 1986 et exploité celle-ci depuis 2008 à compter des contrats de licence. De plus, son titulaire était de bonne foi à cette date. En outre, la marque postérieure est effectivement exploitée dans le territoire pour lequel la marque antérieure est protégée. Celle-ci a été effectivement communiqué au public et a fait l’objet de publicités, justifiant de son exploitation sérieuse et effective sur le marché, ne nécessitant pas de condition quantitative. Enfin, la Cour a considéré que la société Holdham connaissait effectivement l’exploitation de cette marque et a sciemment toléré son usage comme tel de 2008 à 2017 soit une période supérieure à cinq années consécutives sans démontrer aucune volonté d’action.

De plus, la cour rejette également l’action concernant une seconde marque étant l’exacte copie de celle précitée, déclarant « qu’un nouveau dépôt de marque portant sur le même signe n’est pas de nature à remettre juridique en cause la tolérance ».

Ainsi, la forclusion par tolérance, considérée comme une fin de non-recevoir, est un moyen de défense unique en droit des marques, qui permet de rendre irrecevable une action en contrefaçon.

Cet arrêt illustre l’importance de veiller à ses marques quant aux risques de dépôts et d’exploitation afférents de marques potentiellement reproduites ou similaires. En effet, la rapidité de l’action est un atout à ne pas négliger surtout en présence du mécanisme de forclusion par tolérance entraînant l’irrecevabilité de l’action à l’expiration de son délai.

 

Article rédigé par Léa VIGNAUX, sous la supervision de Pierre BRASQUIES