DETOURNEMENT D’INFORMATIONS CONFIDENTIELLES : DE L’IMPORTANCE DE LA PREUVE

Droit du numérique
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La fuite d’informations confidentielles est l’une des plus grandes craintes des entreprises. Dans ce contexte, deux sociétés d’ingénierie industrielle et d’études techniques nous mènent au cœur d’un litige les opposant au sujet d’un transfert d’informations confidentielles opéré par un ancien salarié de l’une d’entre elles.

Des faits classiques de détournement d'informations confidentielles par un ex-salarié

Plus précisément, un salarié transfère sur son adresse personnelle des informations confidentielles de son employeur., la société ERAS Il est licencié et va créer en 2014 la société AIGP Ingénierie. Son ex-employeur poursuit la nouvelle société créée en invoquant la détention par celle-ci de certaines de ses informations confidentielles.

La cour d’appel se prononce en faveur de la société ERAS. Selon elle, la faute est caractérisée par le détournement des documents confidentiels. Il n’est donc pas nécessaire d’apporter la preuve de l’utilisation desdits documents par la société. La société AIGP est condamnée à payer 15.000€ de dommages et intérêts.

Une décision inattendue, mais logique

La Cour de cassation quant à elle est d’avis contraire. Elle accueille le pourvoi de la société AIGP Ingénierie au motif qu’il est nécessaire de constater l’appropriation ou la détention par la société pour être à mesure d’établir la concurrence déloyale ; on ne peut être condamné pour détention sans détenir.

Cette décision sonne comme un rappel de la nécessité d’établir la preuve avant d’agir en concurrence déloyale. En effet, s’il existe des recours en cas de détournement de données confidentielles d’une entreprise, encore faut-il s’assurer d’avoir en sa possession les éléments de preuves nécessaires à l’action.

Il est de jurisprudence constante que l’appropriation, par des procédés déloyaux, d’informations confidentielles relatives à l’activité d’un concurrent, constitue un acte de concurrence déloyale. Selon la cour de cassation, le seul fait pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail constitue un acte de concurrence déloyale. (Cass Com 7-12-2022 n°21-19.860).

En d’autres termes, la Cour de cassation condamne les sociétés qui détiennent par le biais d’anciens salariés de leurs concurrents, des informations confidentielles relatives à d’autres sociétés. Une telle démarche est un facteur nécessaire à la sécurisation des investissements et recherches faits par des entreprises dans le cadre de leur développement.

Mais encore faut-il apporter la preuve de la détention par la société des informations confidentielles. En l’espèce, les informations confidentielles avaient été transférées directement par l’ancien salarié sur son adresse personnelle et non sur le système informatique de la société AIGP Ingénierie, qui n’avait pas encore été constituée à l’époque de ce transfert. La preuve de la détention d’informations confidentielles par la société AIGP Ingénierie n’était donc pas rapportée.

Les recours possibles en cas de détournement d'informations confidentielles

Comment aurait-pu procéder la société ERAS pour obtenir la preuve de la détention de ses données confidentielles ?

La procédure sur requête prévue à l’article 145 du Code de procédure civil aurait pu être utilisée. Il s’agit d’une mesure probatoire, rapide et non contradictoire. La procédure consiste à obtenir du juge (en l’espèce du président du tribunal de commerce), l’autorisation de diligenter un huissier avec une mission précise au sein de la société suspectée. La requête doit déterminer de manière précise les personnes qui seraient amenées à participer à l’opération. En l’occurrence, l’huissier aurait pu solliciter des experts informatiques habilités à l’assister dans sa mission de constatation. Aussi, la requête aurait mentionné toutes les actions qui seraient effectuées sur les lieux et notamment les mots-clés sur la base desquels la recherche pourrait être effectuée. La responsabilité de la société aurait été engagée de manière plus certaine une fois la preuve de la présence des informations confidentielles sur ses serveurs établie. 

Un autre axe d’intervention serait d’engager la responsabilité du salarié à défaut de celle de la société.

Le transfert de données sans l’autorisation de l’employeur est qualifié de vol.  La responsabilité délictuelle de l’ex-salarié pourrait ainsi être engagée.

En outre, manque à son obligation de discrétion tout salarié qui procèderait à la divulgation des informations confidentielles de son employeur à un tiers. Une telle obligation résulte du principe de bonne foi dans l’exécution des contrats.

Une clause de confidentialité aurait aussi pu être insérée dans le contrat de ce salarié afin d’apporter une garantie supplémentaire de la protection des informations confidentielles de l’employeur et de leurs secrets d’affaires. Cela aurait permis d'agir sur le terrain de la responsabilité contractuelle du salarié. 

Il apparaît clairement que l’action en concurrence déloyale intentée contre la société était ici inadaptée car prématurée. D'autres voies d'actions auraient pu etre explorées, tant en amont qu'à titre alternatif. 

Le Cabinet CHAMPOLLION est à votre disposition pour la protection et la défense de vos données confidentielles et secrets d'affaires. 

Article rédigé par Marie-Noëlle ELIAM, sous la supervision de Josquin LOUVIER