Protection des secrets d’affaires : précisions procédurales apportées par le décret du 11 décembre 2018

Contrats de l'entreprise Propriété Intellectuelle
confidential.jpg

La Loi du 30 juillet 2018 a créé les articles L.151-1 et suivants du Code de commerce, dédiés à la protection du secret des affaires. Cette loi a transposé la Directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur la « protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites ».

Pour rappel, l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce du 15 avril 1994 (intégrant l’Accord instituant l’Organisation Mondiale du Commerce) prévoyait déjà une disposition sur la protection des « renseignements non-divulgués » en son article 39. Quand bien même cette disposition n’a pas trouvé de véritable écho jusqu’à la directive de 2016, elle a largement inspiré la définition du champ d’application de la protection.

Il est intéressant de constater que le législateur français a fait le choix d’intégrer ces dispositions dans le Code de commerce, et non dans le Code de la propriété intellectuelle comme aurait pu l’y inciter la directive qui présente cette protection comme un complément des droits de propriété intellectuelle.

En effet, la contrepartie de la protection par les droits de propriété intellectuelle, et plus particulièrement des droits de propriété industrielle est leur publicité. Celui qui entend se prévaloir d’un droit exclusif d’exploitation doit en contrepartie divulguer sa création. Or, il est apparu que la protection offerte pas la propriété intellectuelle n’était pas toujours suffisante pour palier les risques liés à la divulgation de la création.

La directive, suivie en ce sens par la loi, a donc créé des règles permettant la protection du secret, et par là-même offrant aux créateurs le choix entre la voie de la propriété intellectuelle, impliquant la divulgation, et la voie du secret.

Cette protection a pour objet « toute information » qui « n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité », qui a une valeur commerciale, et qui fait l’objet de mesures de protection par son détenteur légitime.

  1. Qualification de secret des affaires

Ainsi, l'article L.151-1 du Code de commerce permet de qualifier une information de « secret des affaires » par la réunion de trois conditions cumulatives : 

- L'information est secrète

- L’information a une valeur intrinsèque

- L'information est protégée

Il s’agira par exemple d’un savoir-faire, comme une recette, ou la composition d’un parfum, mais également d’informations organisationnelles, comme une méthode commerciale, ou le fichier client d’une entreprise.

Les dispositions du Code de commerce ne prévoient aucune exclusion formelle. Pourront ainsi être qualifiés de secret des affaires tout type d’information. On songe notamment aux créations qui n’ont pas encore fait l’objet d’une appropriation par le biais d’un droit de propriété intellectuelle.

La protection du secret des affaires pourrait alors constituer une forme de sas qui permettra d’orienter ces créations vers la protection idoine : un brevet, une marque, un modèle, une protection par le droit d’auteur, ou encore par la conservation du secret lorsque cette option sera la plus judicieuse.

  1. Détenteur du secret des affaires

La personne qui peut se prévaloir du droit à la protection du secret des affaires est son "détenteur légitime", défini à l'article L.151-2 du Code de commerce comme "celui qui (...) a le contrôle de façon licite" de ce secret.

Force est de constater que les dispositions de la loi du 30 juillet 2018 sont encore insuffisantes à déterminer dans tous les cas le détenteur légitime du secret des affaires. En dehors des cas les plus simples, notamment dans les petites structures, des débats auront lieux pour déterminer qui est le détenteur légitime dans les structures plus importantes : l’entreprise ou son salarié pourront prétendre, selon les cas, à ce titre.

Il s’agira alors, selon le type d’information en jeu, de déterminer ce détenteur légitime par analogie avec les règles classiques de la titularité en matière de droits intellectuels.

  1. Protection du secret des affaires

La protection conférée au secret des affaires permet au détenteur légitime de l'information protégée de s'opposer aux divulgations ou utilisations auxquelles il n'aurait pas consenti.

Les atteintes au secret des affaires engagent la responsabilité civile de leur auteur.

Le détenteur légitime du secret peut prévenir une atteinte, ou faire cesser une atteinte, en agissant par voie judiciaire, sous le délai de 5 ans à compter des faits.

Le Décret du 11 décembre 2018 apporte des précisions sur l’action « préventive », visée à l’article L.152-4 du Code de commerce, en introduisant une nouvelle procédure à l’article R.152-1 du Code de commerce, très fortement inspirée de ce qui avait été créé pour certains droits de propriété intellectuelle par la loi du 11 mars 2014.

Par le biais de cette action, le détenteur légitime du secret peut solliciter des mesures provisoires et conservatoires proportionnées. Ces mesures peuvent tendre à des interdictions d’actes d’utilisation et de divulgation du secret, ou de production de produits résultants d’une telle atteinte, avec possibilité de saisie ou de mise sous séquestre de ces produits, le tout sous astreinte.

Ces mesures peuvent faire l’objet d’une demande de garantie du détenteur légitime en contrepartie.

Cette procédure permet donc au titulaire d’un secret des affaires qui souhaite éviter sa divulgation, d’agir rapidement, sur requête ou en référé, afin d’obtenir l’interdiction de cette divulgation.

L’existence d’une telle procédure est une avancée majeure pour se prémunir des éventuelles atteintes au secret. Toutefois, celle-ci n’est applicable qu’aux informations qui seront qualifiées de secret des affaires. Une telle qualification dépendra notamment des mesures de protection du secret mise en place par son détenteur. A cette fin, une véritable stratégie de protection devra être mise en place, faute de quoi la qualification de secret pourra être refusée, et partant, la voie d’accès aux mesures de protection sera fermée.

Article rédigé par Pierre BRASQUIES, le 14/01/2019