Infogérance et perte de données : l’indemnisation n’est pas automatique!

Droit du numérique

Une décision intéressante de la Cour d’Appel de Lyon du 11 février 2014, rendue en référé, vient rappeler que le préjudice ne peut être présumé, et doit être prouvé.

En l’espèce, la société Haulotte avait conclu en 2006 un contrat d’infogérance avec Euriware, pour l’externalisation de la gestion complète de son système d’information.

Suite à un problème technique, des fichiers ont disparu (200 000 selon la cliente !), le programme de sauvegarde s’étant montré défaillant. La société Haulotte a résilié le contrat pour faute grave et a mis en œuvre la clause de réversibilité. En l’absence de tout accord entre les parties et leurs assureurs, Haulotte a assigné son prestataire en référé expertise et a demandé une condamnation provisionnelle de 400 000 €, en réparation du préjudice subi.

Le juge des référés du Tribunal de Commerce de Lyon a ordonné l’expertise, et condamné Euriware à payer à la société Haulotte une indemnité provisionnelle de 300.000€, qui tenait compte des couts déjà engendrés pour la reconstitution des données.

Euriware a fait appel de cette décision uniquement sur la partie indemnisation et non sur l’expertise, qui est toujours en cours.

Les magistrats d’appel ont réformé cette ordonnance, en retenant d’une part, que la responsabilité de la société Euriware n’était pas certaine, et qu’il appartiendrait à l’expert de la déterminer.

D’autre part, et c’est l’apport de cette décision, la Cour relève que la société Haulotte ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’elle invoque, qui serait lié à la perte de ces fichiers.

La motivation de la décision est parlante :

Présentement, et contre toute attente, ladite société Haulotte, près de trois ans après l’incident du 20 avril 2011, se garde de toute démonstration quant à la réalité de son préjudice financier, se contentant d’énumérer les fichiers qu’elle prétend avoir perdus sans expliquer en quoi ces pertes ont affecté ses productions industrielles ou la qualité de ses relations avec ses clients.

Pourtant, une telle preuve aurait pu être produite facilement par le biais de quelques exemples significatifs de ralentissement dans la production du fait d’un manque de plans antérieurs ou de rupture de relations contractuelles avec des clients, par suite de la disparition des archives le concernant.

Or, en l’absence de toute démonstration de ce chef, il n’est pas à exclure que les fichiers litigieux n’aient en réalité aucune valeur marchande pour correspondre à des archives anecdotiques ou obsolètes, rendant sans objet toute indemnisation, tout au moins au titre d’un préjudice direct et financier facilement quantifiable par le juge de l’évidence et de l’incontestable qu’est le juge des référés et la cour à sa suite.

Il faut bien évidemment garder à l’esprit qu’il s’agit d’une décision de référé, par nature provisoire, et qui n’a pas autorité de la chose jugée.

Cependant, elle vient rappeler que le préjudice doit être réel et certain pour être indemnisé. La cruauté de la décision transparait dans le second paragraphe : manifestement, la société Haulotte aurait pu facilement établir ce préjudice financier ou commercial, en produisant certaines pièces, notamment des annulations de commande, mais elle a omis de le faire.

La « victime » a donc été négligente dans la constitution de son dossier, à moins tout simplement que le préjudice qu’elle invoquait n’existe pas vraiment…

En résumé, il ne suffit pas d’établir la réalité d’une perte de données pour réclamer une indemnisation  conséquente, encore faut-il prouver l’impact de cette perte de données sur le bon fonctionnement de l’entreprise, et notamment sur son chiffre d’affaires.

Voilà une décision rassurante pour les prestataires de service, mais qui l’est un peu moins pour les clients…

Article publié sur www.grilog.fr le 10/04/2014