Défendre sa marque sur Internet

Propriété Intellectuelle Droit du numérique

La marque est un élément essentiel du fonds de commerce et un outil majeur de valorisation d’une entreprise. En tant que titre de propriété industrielle, elle bénéficie en outre d’une protection supérieure à celle du nom commercial ou de la dénomination sociale, par le biais de l’action en contrefaçon.

La défense de la marque et de son image constitue une préoccupation majeure des entreprises, en particulier lorsqu’elles sont engagées à l’international, sur un marché fortement concurrentiel.

Depuis plusieurs années on constate, aux côtés de la contrefaçon « classique » pour certains produits (luxe, électronique, pharmacie, etc), une multiplication des usages illicites et frauduleux des marques des entreprises sur le réseau Internet. Ceux-ci peuvent prendre différentes formes : réservation de la marque d’un concurrent comme « mot-clé » auprès d’un prestataire de référencement, enregistrement par un tiers (concurrent ou non) de la marque comme nom de domaine, afin de profiter de sa notoriété, ou tout simplement de négocier sa revente à son titulaire naturel, utilisation de la marque ou d’un terme similaire dans les « métatags » du site web, afin d’améliorer son référencement, etc.

Toutes ces pratiques, qui se sont développées avec l’essor de l’Internet et du commerce en ligne, constituent des actes de contrefaçon. L’entreprise, titulaire de la marque, peut donc légitimement agir devant les juridictions compétentes pour faire cesser l’exploitation illicite ou frauduleuse de sa marque, et obtenir une juste indemnisation.

Les procédures judiciaires classiques

Cependant, le choix de la procédure n’est pas toujours évident. Ainsi, si la situation commande d’agir vite, l’entreprise aura intérêt à agir en référé, mais la contrefaçon devra être clairement caractérisée pour être qualifiée de « trouble manifestement illicite », et obtenir la condamnation du contrefacteur sous astreinte à cesser ses agissements. De même, le défendeur pourra assez facilement  invoquer une « contestation sérieuse » pour faire échec à une demande de provision. A l’inverse, en agissant « au fond », la victime de la contrefaçon  pourra plus aisément obtenir une condamnation du contrefacteur, mais la décision n’interviendra souvent qu’après plusieurs années de procédure.

Surtout, l’efficacité des procédures judiciaires trouve ses limites lorsque l’auteur de la contrefaçon est situé en dehors du territoire national, a fortiori dans des juridictions n’étant liées avec la France par aucune convention internationale ou bilatérale. Ainsi, à supposer qu’elle obtienne satisfaction du juge français (territorialement compétent dès lors que le préjudice est subi en France), l’entreprise aura les pires difficultés pour faire exécuter sa décision à l’encontre d’un contrefacteur domicilié à Trinité et Tobago, ou d’un hébergeur situé aux Etats-Unis. Qu’il s’agisse de recouvrer d’éventuels dommages-intérêts, ou simplement de récupérer le nom de domaine, la décision rendue risque de rester lettre morte.

L’intérêt des procédures extrajudiciaires

Il existe cependant plusieurs procédures alternatives, de nature extrajudiciaire, qui permettent de faire cesser les actes de contrefaçon de sa marque sur Internet.

La première d’entre elles a été créée par la loi du 21 juin 2004 dite « pour la confiance dans l’économie numérique ». Elle permet à toute personne, physique ou morale, de signaler à l’hébergeur d’un site Internet, l’existence d’un contenu illicite, afin de le faire supprimer. La demande  (faite par LRAR) doit être suffisamment précise, et motivée sur le plan juridique. Si l’hébergeur, une fois que ce contenu lui a été signalé, ne le retire pas promptement, il peut voir sa responsabilité engagée. Bien que le Conseil Constitutionnel ait précisé que le contenu en cause doit être « manifestement illicite », l’expérience montre que les hébergeurs, face à des demandes fondées sur la violation des droits de propriété intellectuelle, retirent rapidement les contenus signalés. A noter que cette procédure, inspirée d’une directive européenne, est applicable à tous les hébergeurs situés sur le territoire de la communauté européenne, ce qui renforce considérablement son intérêt.

Si la marque est utilisée indûment par un concurrent comme mot-clé pour un lien commercial vers son propre site (par exemple, avec le système « Google AdWords »), le titulaire de la marque peut aussi le signaler au prestataire de référencement, soit en l’espèce à Google, en respectant le formalisme de la loi de 2004. En effet, suite à plusieurs arrêts de la CJCE  du 23 mars 2010, Google s’est vu appliquer le statut de l’hébergeur : une fois que les données illicites (la marque reproduite comme mot-clé par un concurrent) lui sont notifiées, il doit faire le nécessaire pour les retirer. En pratique, Google a mis en place un système de notification de contenu illicite, mais se réserve le droit de faire le tri entre les demandes légitimes et les autres…ce qui ouvre la voie à de nombreuses contestations.

Le « cybersquatting », fléau des temps modernes

Lorsque l’entreprise est victime de l’enregistrement frauduleux de sa marque comme nom de domaine par un tiers scrupuleux, ce qu’on appelle le « cybersquatting », elle peut également avoir recours à une procédure innovante, gérée par le Centre d’Arbitrage et de Médiation de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), basée à Genève.

Cette procédure, qui concerne tous les noms de domaine génériques (tels que.com, .net, .org), permet à la victime d’un « cybersquatting » d’obtenir rapidement le transfert du nom de domaine litigieux à son profit, par le biais d’une décision d’arbitrage, qui s’impose à tous les prestataires techniques d’enregistrement (appelés « registrars »), quel que soit le pays où ils sont implantés.

Pour obtenir satisfaction, le requérant doit apporter la preuve que :

i)        le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou services sur laquelle il a des droits ;

ii)       le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache, et

iii)     le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

Dans la plupart des cas, notamment lorsqu’on est en présence d’un « cybersquatteur », qui réserve des noms de domaine à tout va, afin de les revendre au plus offrant, les trois conditions seront aisément remplies. C’est ce qui explique que près de 80% des plaintes auprès de l’OMPI soient couronnées de succès. Les 20% restant concernent essentiellement des conflits entre titulaires de droits concurrents sur le signe : une même marque peut en effet être déposée en France et à l’étranger par deux sociétés différentes. Dans cette hypothèse, la preuve de la mauvaise foi sera plus difficile à apporter.

La procédure d’arbitrage de l’OMPI présente deux avantages majeurs : son efficacité (les décisions sont immédiatement exécutées par le prestataire technique), et sa rapidité (la décision d’arbitrage est rendue dans un délai moyen de 60 jours). Son coût reste raisonnable : les frais et honoraires de l’expert sont fixés 1.500€ (lorsque le conflit concerne jusqu’à cinq noms de domaine). S’agissant d’une procédure assez technique, soumise à des délais très courts, entièrement dématérialisée, et généralement conduite en anglais (la langue du prestataire d’enregistrement), il est conseillé de se faire assister d’un professionnel compétent dans le domaine.

Cependant, et c’est le principal inconvénient de cette procédure extrajudiciaire, le titulaire de droits ne pourra obtenir de dommages-intérêts, ni de remboursement de ses frais de défense.  

Une procédure semblable a été mise en place par la Centre de Médiation et d’Arbitrage, géré par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, pour les noms de domaine en « .fr », et dont l’efficacité est similaire à celle de la procédure OMPI.

Il reste que, dans un certain nombre de cas, notamment si le prestataire ou le contrefacteur est situé sur le territoire français, la victime d’une contrefaçon de sa marque sur Internet aura intérêt à agir devant les juridictions françaises, ne serait-ce que pour obtenir des dommages-intérêts à hauteur du préjudice commercial qu’elle a subi, et le remboursement de ses frais de justice.

Face à une atteinte à sa marque, il appartiendra donc à l’entreprise d’ « arbitrer » entre une solution rapide et efficace, mais plus coûteuse, et un recours judiciaire classique, plus avantageux sur le plan indemnitaire, mais dont l’efficacité peut être aléatoire. 

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