Défendre sa "e-reputation"

Droit du numérique
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Comme le rappelle l’homme d’affaires américain Warren Buffet : « Il faut 20 ans pour construire une réputation, et 5 minutes pour la détruire ». Ce qui était vrai avec la naissance des médias de masse (presse, télévision), prend d’autant plus de sens à l’ère de l’Internet 2.0, ou « participatif ». Ainsi, que ce soit sur les réseaux sociaux, les forums de discussion, les blogs ou encore les sites d’avis en ligne (Hotels.com, Tripadvisor, etc), les internautes peuvent désormais publier librement leurs commentaires sur les produits et services d’une entreprise. Or, ces avis ne sont pas toujours positifs, et peuvent dans certains cas être délibérément excessifs ou outranciers, vis-à-vis de l’entreprise, voire de son dirigeant. Il est donc essentiel, lorsqu’on est confronté à une telle situation, de réagir rapidement pour faire cesser l’atteinte subie, et voir réparer son préjudice.

Les fondements juridiques : diffamation et dénigrement commercial

Deux fondements juridiques peuvent être invoqués pour faire cesser ce type d’atteinte à la réputation.

Le premier est bien évidemment la diffamation, qui se définit comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Il faut que l’internaute ait donc faussement accusé l’entreprise d’un fait précis et portant atteinte à son crédit, et ce en toute connaissance de cause. Récemment, un internaute a ainsi été condamné à payer 3500€ de dommages et intérêts à une entreprise de BTP, pour avoir dénoncé sur son blog les malfaçons affectant les travaux réalisés par cette entreprise, qu’il qualifiait de « voleurs sans état d’âme », ajoutant que « c’est aussi simple que de commettre un meurtre ou d’avoir une nouvelle identité pour ne pas répondre de ses actes » !

Cependant, les messages ne sont pas toujours aussi virulents, et la diffamation n’est caractérisée, selon la jurisprudence, que si les propos sont « mensongers, excessifs, ou disproportionnés », ce qui relève d’une appréciation pour le moins subjective.

Il arrive aussi que les commentaires négatifs émanent de concurrents qui, sur leur site Internet ou, de façon plus insidieuse, sur des sites d’avis de consommateurs, voire sur la page Facebook de la marque de l’entreprise visée, publient des avis particulièrement négatifs, sans être pour autant diffamatoires au sens de la loi.

Ces actes peuvent alors être sanctionnés, sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, au titre du dénigrement commercial et de la concurrence déloyale. Ainsi, dans un arrêt du 19 mars 2008, la Cour d’Appel de Paris a condamné la société DDI (exploitant une chaine de restaurants) à payer 20.000€ de dommages-intérêts à son concurrent, la société L&S, pour avoir publié, sur son propre site, des avis extrêmement négatifs de pseudo-consommateurs, dont certains estimaient que les produits de L&S étaient « une daube ». La Cour a estimé qu’il s’agissait là d’actes de dénigrement fautifs, et a ordonné, outre le retrait des messages litigieux, la publication de la décision dans des journaux spécialisés et sur le site Internet de la société DDI, ce qui constitue probablement la mesure la plus efficace pour réparer l’atteinte portée à l’e-reputation de la plaignante.

Les recours judiciaires et extra-judiciaires

Concrètement, l’entreprise victime d’un contenu diffamatoire ou dénigrant sur Internet dispose de plusieurs recours, tant judiciaires qu’extra-judiciaires pour voir retirer ce message et réparer son préjudice.

La personne mise en cause peut tout d’abord exiger, conformément à l’article 6 de la loi du 21 juin 2004, que soit inséré un droit de réponse, à la suite du message litigieux. La demande doit être adressée au directeur de la publication du site, dans un délai de 3 mois à compter de la mise en ligne du contenu. Le droit de réponse doit être publié dans les 3 jours de la demande. Cependant, cette procédure n’est pas applicable « lorsque les utilisateurs sont en mesure, du fait de la nature du service de communication en ligne, de formuler directement leurs observations », ce qui concerne notamment les forums de discussion, les blogs, ou les sites ouverts aux commentaires des internautes, et ce qui réduit quelque peu l’intérêt pratique de ce droit de réponse en ligne.

En second lieu, la responsabilité de l’éditeur du site peut être engagée en qualité de directeur de publication pour le caractère diffamatoire du message, si celui-ci est avéré. Cependant, la prescription est très courte : il faut agir dans un délai de 3 mois à compter de la mise en ligne du message, ce qui pose problème lorsqu’on le découvre tardivement, et respecter la procédure prescrite par la loi de 1881, qui est particulièrement lourde et complexe.

On peut aussi agir contre l’auteur du message. Cependant, il est souvent difficile de connaitre son identité réelle, car le message est généralement publié sous un pseudonyme. Il faut alors demander au président du Tribunal de Grande Instance, sur requête, que soit ordonné à l’hébergeur de fournir toutes les données d’identification fournies par l’auteur du message lors de son inscription (nom, prénom, adresse, email, etc). Cela permet ensuite de prendre attache avec l’auteur du message, et d’engager si nécessaire une action judiciaire à son égard, pour obtenir réparation du préjudice subi.

En cas d’inertie de l’éditeur du site, ou d’impossibilité de l’identifier (ce qui peut être le cas pour des blogs personnels), la victime peut également notifier ce contenu « manifestement illicite » à l’hébergeur du site, afin qu’il procède à son retrait immédiat. L’hébergeur doit alors le retirer sans délai ; à défaut, il engage sa responsabilité civile. La notification est soumise à des conditions de forme assez strictes, et doit notamment identifier avec précision le contenu visé. L’expérience montre qu’il s’agit là du moyen le plus efficace de faire cesser rapidement une atteinte à sa « e-reputation », avant d’engager les mesures appropriées pour se voir indemniser de son préjudice.

Enfin, la publication de « faux avis » (positifs ou négatifs) par un concurrent, peut relever de l’infraction de « pratiques commerciales trompeuses » ; il est ainsi possible de dénoncer ces pratiques à la DGCCRF, voire au Parquet.

La loi offre donc des recours pour faire respecter sa « e-reputation », mais il convient avant tout de surveiller ce qui se dit sur sa personne ou son entreprise, dès lors que les délais pour (ré)agir sont particulièrement brefs.

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